Editorial du
LE DEVOIR
Essais - L'art d'être vieux

Bien vieillir, vivre une vieillesse heureuse: sait-on comment, malgré les philosophes et les sages qui ont fait de cette énigme leur territoire privilégié? Nous avions une vie à découvrir, à conquérir et à réaliser. «Mais la vieillesse?, demande Jacques Laforest. Quel sens peut-elle avoir dans l'ensemble du cycle de la vie?» Humblement, avec l'élégance retenue qui convient aux calmes soirs réflexifs, le gérontologue tente de répondre à cette question.

Bien sûr, les «pertes de la vieillesse» sont bien réelles et se font ressentir sur les plans physiologique, psychologique et social. Bien sûr, notre société croit peu en la vieillesse et engendre, ce faisant, deux figures en apparence opposées mais qui se rejoignent dans le refus de cette période de la vie: le vieillard résigné à son exclusion et l'aîné hyperactif qui nie son état. Être vieux, pourtant, c'est vivre encore, c'est vivre toujours, mais différemment.

S'il adhère à une perspective chrétienne, seule à même, selon lui, de donner tout son sens à l'expérience de la vieillesse, Laforest a tout de même tenu à diviser son ouvrage en deux parties bien distinctes: une première qui s'en tient au «strict point de vue de la nature» et une deuxième qui place ce parcours «dans l'éclairage de la Révélation». Moins marquée spirituellement, la première partie est aussi la plus forte du livre.

L'art d'être vieux, y écrit Laforest, exige de reconnaître et d'accepter le «vieillissement objectif» sans pour autant se laisser aller sur la pente du «vieillissement subjectif». Le repos du soir de la vie, en d'autres termes, ne doit pas devenir une invitation à «se reposer d'avoir vécu» mais bien plutôt le tremplin d'un approfondissement existentiel à même de rendre son unité, son intégrité à une vie qui, sans lui, demeurerait inaccomplie. Et cela, ni la résignation ni l'agitation ne peuvent le permettre.

Il existe une joie de vivre, propre à la vieillesse, qui passe par une «qualité de présence» au monde d'aujourd'hui et par un renouement lucide avec la faculté d'émerveillement propre à l'enfance. Inspiré par Marcel Proust, qui écrivait qu'«il faut croire aux choses», Laforest a cette belle formule: «Si les enfants possèdent cette faculté comme un don de la nature, les adultes (et à plus forte raison les vieillards) doivent se l'approprier par une activité intérieure créatrice. Tandis que les enfants sont les spectateurs émerveillés du monde, les adultes, eux, sont créateurs de la réalité qui les émerveille.»

Ce «second regard», qui s'applique aussi au domaine de la foi dans la mesure où celle-ci «ouvre nos yeux sur le monde surnaturel qui transparaît dans les réalités sensibles de notre monde», ne peut advenir qu'à la suite d'une remise en question radicale de l'éthique fonctionnaliste (l'individu jugé à l'aune de sa valeur fonctionnelle dans la société) au profit d'un nouveau système de valeurs qui privilégie l'être au faire. C'est ainsi qu'il devient possible, à l'heure d'apprivoiser la mort, «d'expérimenter sa vie comme une montée en même temps qu'on l'expérimente comme un déclin».

Rédigée dans une perspective ouvertement chrétienne, la deuxième partie de l'ouvrage reprend ce parcours de belle façon en y ajoutant des considérations inédites. Laforest, par exemple, y interprète l'intensification de la sensibilité religieuse qu'on remarque chez les vieillards par un appel d'être inscrit au coeur de l'expérience humaine: «En raison de la sensibilité nouvelle qu'avive en eux la menace de l'anonymat, les vieillards peuvent découvrir avec émerveillement un horizon jusque-là insoupçonné. L'histoire et l'univers s'éclairent d'un jour tout nouveau du fait que, pour le Créateur, il n'existe pas de multitude impersonnelle.»

Par son usage discret et judicieux des références culturelles (plus particulièrement une toile de Brueghel et un extrait de la conversion du roi de Northumbrie racontée par Bède le Vénérable), par son ton sensible empreint de respect et d'espoir, La Vieillesse apprivoisée de Jacques Laforest est, avec Éloge de l'âge du Français Christian Combaz et L'âge dort? de Jean Carette, l'une des belles réflexions qu'il m'ait é té donné de lire sur l'art d'être vieux.

L'art de se souvenir

Pour ceux qui l'ont eue heureuse, c'est quand elle est loin que l'enfance est la plus belle. L'octogénaire Robert Morissette, qui fut professeur à l'UQAM, ne l'a pourtant pas eue particulièrement facile. Orphelin de mère à l'âge de six ans, séparé du reste de sa famille immédiate et recueilli par ses grands-parents paternels généreux mais pauvres, le gamin des années 30 que réinvente le vieil homme d'aujourd'hui apparaît néanmoins, dans ce récit autobiographique intitulé L'Envol, comme un enfant de la Crise que l'hospitalité de la campagne québécoise a rendu heureux.

Petit témoignage modeste, empreint de naïveté et de la sérénité qu'apporte parfois le soir de la vie, cet ouvrage se présente comme un récit d'apprentissage à l'ancienne. Morissette y raconte, sans prétention, la vie rurale d'antan, l'art de la fête des anciens (les beaux Noëls simples, les mystérieux alambics), la religion populaire (le petit s'initie à l'art du conte en racontant l'Évangile et l'homélie à son grand-père qui dormait pendant la messe), les écoles de soeurs et de rang de même que les joies et les misères de la vie agricole sur une terre de Saint-David-de-Yamaska qui peine à faire vivre convenablement la famille élargie.

Rédigé dans un style vieillot qui rappelle les historiettes du terroir à la mode il y a 100 ans, L'Envol contient toutefois quelques extraits qui auraient fait rougir les abbés Casgrain et Groulx. Quand Morissette se souvient de sa découverte des choses de la vie en évoquant la «patente» de «quatre pieds de long» du cheval, son cousin qui se faisait «mousser le créateur» (voir le Dictionnaire de la langue québécoise) en cachette et la belle Louise-Marie qui lui offrait ses charmes, il modernise, sans le renouveler, un genre habituellement plus discret en cette matière.

Il n'y a pas, dans ce livre, de nostalgie malsaine ni de moralisme à deux sous. Il n'y a que le récit d'un sympathique envol discrètement offert en partage. C'est peu mais assez touchant. Il faut savoir entendre les souvenirs des voix fragiles qui nous ont précédés.
Louis Cornellier
La vieillesse apprivoisée
Jacques Laforest
Éditions Fides
Montréal, 2002, 160 pages

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