Valeurs Actuelles n° 3418 paru le 31 Mai 2002
L'esprit des mots

Moins pire


C’est un canadianisme, ou pour mieux dire un québécisme devant quoi rougissent les lexicographes lesquels sont bien bégueules : le grand danger du purisme est le simplisme, voire le mécanisme, et il y a des nuances de la réalité que les règles ordinaires ne sauraient saisir. “Moins pire”, en est une, qui introduit un léger mieux dans l’octave descendant ; les puristes pourront tordre le nez, ou la plume devant l’expression, elle n’en est pas moins irremplaçable dans son registre. Il en va de même de ces fausses tautologies que récuse le bon usage mais que l’expérience, hélas, justifie : ainsi de ces “ cadeaux gratuits” que promet la publicité, et qui exaspèrent un lecteur du Lot-et-Garonne. Et pourtant : ce “gratuit”-là, eu égard aux pratiques du milieu, n’a rien de superfétatoire : il s’y cache même un aveu d’un cynisme désarmant. Au début de l’Enéide, le grand prêtre Laocoon avait bien raison de se méfier des cadeaux des Grecs, et le cheval de Troie, la suite l’a montré, était un cadeau rien moins que gratuit. De même en 1965, François Mitterrand, candidat à l’élection présidentielle, proposait aux partis de gauche en cas de victoire des “contrats loyaux” de gouvernement : André Malraux se demandera s’il existe des contrats déloyaux… Ce qui est tautologie pour la grammaire ne l’est semble-t-il ni pour le commerce, ni pour la politique. Comme dirait un épigone de Laocoon, Lino Ventura dans les Tontons flingueurs : « On connaît la vie, M. Raoul ! »
- Une lectrice de Maincourt-sur-Yvette, à propos de l’affaire des deux collégiennes comtoises qui ont torturé leur condisciple, s’ interroge sur le commentaire du procureur de la République, incriminant “l’influence néfaste du satanisme” : « Y aurait-il donc une influence faste du satanisme ? » Vaste débat : l’avoir cru est peut-être la principale illusion des modernes…
Philippe Barthelet

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